On nous apprend très tôt à être polie, serviable, disponible. Résultat : adulte, on a intégré que se mettre en priorité, c’est négatif. Et pourtant… qui n’a jamais eu envie d’annuler un dîner pour se glisser sous un plaid, ou de dire un grand non à une énième réunion qui déborde ? Mais voilà, dès qu’on pense à soi, la culpabilité rapplique : “Et si j’étais égoïste ?”. Spoiler : non, prendre soin de soi n’est pas un crime. Et ce n’est pas non plus la même chose que l’égoïsme pur et dur.
Égoïste vs bien-être personnel : deux mondes différents
Mettons les choses au clair. Être égoïste, c’est vivre en mode “moi d’abord, les autres jamais”. C’est ne penser qu’à son intérêt, sans partage, sans ouverture. À la clé ? Isolement, frustration et souvent, beaucoup de solitude.
Le bien-être personnel, c’est autre chose. C’est écouter son corps et son mental, se donner ce dont on a besoin pour fonctionner : du repos, de la nourriture, une pause, du plaisir, de la respiration. Rien de narcissique là-dedans : juste du bon sens.
Autrement dit, recharger ses batteries, ce n’est pas être égoïste, c’est être efficace. Parce qu’une collègue exténuée, une maman sur les nerfs ou une amie vidée n’a plus rien à offrir. On n’ira jamais faire un road trip avec le réservoir vide. Alors pourquoi exiger de nous-même de carburer sans jamais refaire le plein ?
La culpabilité héritée : un poids invisible
Si on culpabilise en prenant du temps pour soi, ce n’est pas un hasard. On parle de “culpabilité du bien-être” : ce petit virus transmis de génération en génération.
Dans de nombreuses familles marquées par le travail acharné – que ce soit en Europe de l’Est, en Afrique, ou ailleurs – le repos est mal vu. Faire une sieste ? C’est “perdre du temps”. Refuser une corvée ? C’est “ne pas être courageux”. Résultat : on a grandi en associant repos et paresse.
Beaucoup de parents ont trimé toute leur vie sans jamais lever le pied, et ont transmis l’idée que souffler, c’est mal. Mais à force, cette culpabilité devient un héritage toxique : elle empêche de prendre soin de soi, et parfois même de demander de l’aide.
Et les psys dans tout ça ? Dans certains milieux, consulter un psy reste tabou. Comme si c’était un signe de faiblesse. En réalité, depuis le Covid, les lignes bougent : parler de sa santé mentale devient plus normalisé, presque banal. On comprend enfin que s’autoriser à aller bien n’a rien à voir avec l’égoïsme, mais avec le courage d’affronter ses besoins.
Quand la société entretient la pression
Ajoutons à ce poids familial une bonne dose de société patriarcale et hyper-performante, et on obtient là un cocktail explosif.
Les femmes en première ligne
La sociologue Danièle Kergoat a montré que les femmes portent une “double charge” : productive (travail salarié) et reproductive (tâches domestiques, charge mentale). Et ça ne s’arrête pas à la sortie du bureau. Le soir, au lieu de débrancher, beaucoup pensent déjà aux courses, aux enfants, au repas du lendemain. Pas étonnant que s’accorder une pause semble impossible.
La culture du “toujours plus”
Les réseaux sociaux n’arrangent rien : on nous vend du “hustle”, du dépassement de soi permanent, du “no pain, no gain”. Résultat, ralentir devient suspect. On associe self-care et flemme, repos et manque d’ambition. Ce culte de la performance crée une pression constante : être parfaite au travail, au sport, dans sa vie de famille, dans son couple. De quoi culpabiliser dès qu’on ose lever le pied.
Et les hommes dans tout ça ?
Eux aussi peuvent souffrir de cette injonction. Beaucoup se sentent coincés entre devoir performer, ne jamais montrer de vulnérabilité, et se comparer sans cesse aux autres. Les conséquences ?
Isolement, frustration, sentiment de ne jamais être “assez”.
Mais soyons clairs : si le phénomène touche tout le monde, les femmes en paient souvent un prix plus élevé. Entre la pression d’être irréprochable au travail, mince mais pas trop, sexy mais pas vulgaire, mère parfaite et compagne disponible, la liste est infinie. Aux diktats physiques s’ajoute la fameuse charge mentale : être partout, penser à tout, sans jamais montrer de signe de fatigue.
Résultat : l’idée même de mettre ses besoins en premier devient presque un acte de rébellion.
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Prendre soin de soi, c’est prendre soin des autres
Le Covid a rebattu les cartes. D’un côté, la crise a démocratisé la santé mentale : parler de burn-out, d’anxiété ou de thérapie est devenu plus accepté. De l’autre, elle a renforcé une tendance au repli : beaucoup se sont habitués à rester chez eux, à vivre en solo, et voient le monde extérieur comme épuisant. Résultat : on oscille entre plus d’écoute de soi… et plus d’isolement.
Et si on arrêtait de voir le self-care comme une preuve d’égoïsme ? En réalité, c’est tout l’inverse. Imaginez : on se couche à minuit tous les soirs, on accepte toutes les invitations, on rend service à tout le monde. Résultat ? On finit sur les rotules, irritable, à fleur de peau. Est-ce vraiment rendre service aux autres que de s’oublier soi-même ?
Prendre soin de soi, c’est aussi être plus disponibles, plus présente, plus à l’écoute et plus bienveillante. C’est être en état de donner sans s’épuiser, de recevoir sans culpabiliser, d’être la meilleure version de soi-même. L’image la plus parlante : en avion, on met d’abord son propre masque à oxygène avant d’aider les autres. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut aider personne si on étouffe soi-même.
Concrètement, comment faire sans culpabiliser ?
Poser des limites claires
Apprendre à dire non, ce n’est pas rejeter les autres, c’est protéger son énergie. Et les proches qui tiennent à nous comprendront.
Reprogrammer son cerveau à la pause
Au lieu de voir le repos comme une perte de temps, pensons-le comme un investissement. Comme recharger son smartphone : ça prend du temps, mais c’est indispensable pour qu’il fonctionne.
Varier les micro-plaisirs
Un café au soleil, une balade de 15 minutes, une playlist qui motive… Pas besoin d’un week-end au spa pour se faire du bien. L’idée, c’est d’intégrer des bulles de respiration au quotidien.
Célébrer ses propres besoins
Envie d’être seule ? De sortir ? De danser ? D’annuler ? Écouter ses besoins, c’est aussi s’autoriser à les respecter. Pas besoin d’attendre d’être épuisée pour dire stop.
Le self-care ce n’est pas de être égoïste, c’est de l’intelligence
Mettre ses besoins en priorité, ce n’est pas renier les autres. C’est se donner les moyens de mieux vivre avec eux. C’est sortir du cercle vicieux de la culpabilité et reconnaître que s’aimer soi-même, ce n’est pas être égoïste, c’est être équilibrée. Parce que, on le répète, pour donner, encore faut-il avoir quelque chose à offrir.