Karine Chevreul, est une médecin engagée. Elle a choisi d’oeuvrer en faveur du mieux-être et plus particulièrement, de celui des adolescents. Une cause pour laquelle elle lutte depuis plusieurs années et bien avant qu’elle soit un sujet national. Rencontre avec une femme de convictions.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a incité à travailler dans le champ de la santé mentale ?
Karine Chevreul : « Je suis médecin de santé publique à l’AP-HP depuis 2007, professeure à l’université Paris Cité (PU-PH) depuis 2015 et membre du Collège de la Haute Autorité de santé depuis février 2024. Dans le cadre de mon cursus, j’ai intégré la London School of Economics and Political Science où j’ai obtenu un doctorat. Puis j’ai été chargée de recherche en économie de la santé à l’IRDES (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), chercheure associée au CIRES (Centre international de recherche en économie de la santé de l’EN3S) puis conseillère technique auprès du ministre chargé de la santé de 2006 à 2007.
Lorsque j’ai monté une unité hospitalière de recherche pour les cliniciens, j’ai choisi la santé mentale comme sujet de recherche personnel. A l’époque, très peu de personnes s’y interressaient. Avec mes équipes, j’ai pu travailler sur plusieurs projets, notamment un lié au coût des pathologies pour sensibiliser au sujet de la prise en charge et puis surtout, la mise en œuvre d’une application à destination des adultes : Stop Blues. Objectif : permettre à des gens qui ont une baisse de moral de sortir du déni, se destigmatiser ; mieux cerner les signes, d’avoir accès à des informations et outils pour mieux comprendre ce qui leur arrive, trouver des solutions et sortir du déni ».
Le COVID est arrivé et on a davantage parlé de la souffrance des jeunes. C’est ce contexte qui vous a incité à lancer Mentalo ?
Karine Chevreul : « En fait, juste avant la pandémie, nous avions obtenu un financement pour créer la même application pour les jeunes. Mais au sortir de la crise sanitaire, on s’est interrogé avec mon équipe : les jeunes n’allaient pas bien, certes, mais on ne connaissait pas leurs problématiques. Il fallait donc penser notre application autrement. Mentalo est la première étude nationale lancée par l’équipe ECEVE de l’Inserm et l’Université Paris Cité pour mieux comprendre et améliorer le bien-être mental des 11-24 ans. Le principe : une enquête menée via une application dédiée à des jeunes de 11 à 24 ans, tous volontaires. A ce jour, nous avons eu plus de 17 000 participants ! »

Quels sont les premiers enseignements de cette étude ?
Karine Chevreul : « L’intérêt de Mentalo est justement d’interroger les jeunes sur les causes de leur mal-être et ce qu’il ressort est qu’ils sont profondément inquiets pour leur avenir, leurs études…. Autre intérêt : avoir proposé des questions ouvertes, ce qui légitime d’autant plus les réponses des jeunes. L’objectif de Mentalo, c’est d’avoir une photographie du bien-être mental des jeunes (les facteurs déclencheurs, l’évolution avec les pics…). Les résultats vont aussi permettre de développer des outils d’accompagnement et de prévention et de déstigmatiser les jeunes en souffrance ».
Pourquoi la santé mentale des jeunes est-elle votre cheval de bataille ?
Karine Chevreul: « On a tous rencontré quelqu’un en souffrance mentale, directement ou indirectement. Il y a un réel besoin et pour autant, le sujet n’a jamais été le plus prestigieux en médecine. En m’y engageant, j’ai eu la sensation de faire quelque chose d’utile et je l’ai encore. Il y a urgence à s’occuper du mieux-être de nos jeunes, il y va de notre avenir et de celui de la société future, dont ils seront les acteurs de demain et nous, les spectateurs. Par ailleurs, Jean-Luc Rolland, directeur du centre collaborateur de l’OMS pour la santé mentale, a été une belle rencontre qui a conforté mon envie de travailler sur la santé mentale ».
Après Mentalo, vous vous apprêtez à lancer Mental +, vous pouvez nous en parler ?
Karine Chevreul : « Mental +, c’est l’outil de coaching qui va permettre aux jeunes de faire un point sur eux, de savoir où ils en sont sur tous les domaines de leur vie qui sont en relation avec leur santé mentale. Objectif : faire le point sur leur niveau de santé mentale, avoir des explications sur ce qui l’influence et trouver des solutions pour se renforcer ou se réparer si besoin : Grâce aux témoignages d’autres jeunes et de professionnels, chacun pourra trouver des solutions pour aller mieux ».
Selon vous, quels sont les plus grands malentendus ou tabous qui persistent autour de la santé mentale des jeunes ?
Karine Chevreul : « La stigmatisation, c’est simple, quand on leur parle de santé mentale ou de santé psychique, les jeunes pensent tout de suite à maladie. Il faut simplement demander aux jeunes comment ils vont mentalement ».
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Quelles réponses devraient apporter les institutions (écoles, associations, pouvoirs publics) face à cette situation ?
Karine Chevreul : « Beaucoup sont impliquées. Les collèges, écoles, lycées ont des infirmiers, certains ont des ambassadeurs bien-être. Certaines équipes se forment aussi aux premiers secours en santé mentale. Notre étude est portée par l’Education Nationale, l’enseignement supérieur et a été lancée sous le haut patronage du ministère de la santé.
Quels leviers d’action concrets pourraient améliorer le quotidien des jeunes en souffrance psychologique ?
Karine Chevreul : « Ce qu’ils décrivent comme leur faisant du bien : La musique, les activités culturelles ou sportives, voir des amis, et surtout en parler…, autant de moyens de rompre l’isolement et de créer les conditions d’un meilleur bien-être mental chez les jeunes.
Si vous aviez un message à transmettre directement à ces jeunes ?
Karine Chevreul : « D’abord « parlez-en », et puis s’il s’agit de stress « Ça va aller, ça va bien se passer (c’est d’ailleurs mon mantra), faites des activités, ne restez pas seuls, socialisez, sortez, essayez de profiter, soyez votre propre lumière, croyez en vous…C’est le message de celui qui m’a sans nul doute le plus inspirée dans ma carrière : Jacques Chaperon, professeur de santé publique à Rennes ».